En Quête de mémoire (Brissac-Loire-Aubance)

Je retrouve le photographe Benjamin Rullier, rencontré en 2023 en Anjou et à qui nous avons offert un numéro hors-série de L’Inutile à même de mettre en avant son travail sensible, pour concevoir une exposition qui va « scénographier » la mémoire de résidents de maison de retraite sous la forme d’un tableau qu’on pourrait retrouver dans le bureau d’un inspecteur de police.

Résumé du programme du festival Polarisez-vous :

« Qu’est devenu le premier amour de Renée ? Quel homme était le père de Maryse ? À partir de quel âge Roger a-t-il arrêté de compter les bougies sur son gâteau d’anniversaire ?

Armés de leurs carnets et d’un appareil photo, Nicolas et Benjamin mènent l’enquête… »

 

Exemple de portrait écrit réalisé suite à nos entretiens avec les résidents (le texte suivant servira de cartel à notre « tableau ») :

Pol ROCHARD

a 86 ans et un prénom d’origine bretonne, qu’il doit moins à de quelconques attaches régionales qu’au meilleur ami de son père, rencontré au service militaire.

La poliomyélite qui le frappe dès son plus jeune âge ne l’a jamais empêché de rien faire, bien au contraire : il a toujours œuvré pour le bien des autres, et considéré son handicap comme un moteur.

Dans toute son existence, sa jambe ne l’a trahi qu’une fois. À Bordeaux, un soir d’orage, il chute de bicyclette et glisse sous une camionnette, un véhicule commercial chargé d’articles de cuisine.

Fils de sportif (son papa fut champion du Maine-et-Loire de cyclisme, sur piste et sur route), sportif lui-même (membre éminent de la Fédération Française de Handball, arbitre, pongiste, président d’un club de billard), il a fait des enfants sportifs (« remuants »).

Il fréquente des stars : batteur de jazz, il compagnonnera avec Barbara ou Bobby Lapointe, dans les clubs du Quartier latin. Parmi ses bonnes amies, la future épouse de Raymond Kopa ; il se retrouve à jouer avec le footballeur au tennis de table, et sera même invité au mariage du jeune couple. Malheureusement, il manquera les noces, retenu à Londres, où se déroulent les célébrations autour du couronnement d’Elisabeth II.

Mais le copain dont il garde le souvenir le plus ému est Michel, un camarade croisé en colonie de vacances. Pol sympathise rapidement avec ce garçon, dont la maman travaille dans une maison close de Marseille. Michel est atteint de myopathie graisseuse. Ensemble, ils fument leurs premières cigarettes, des gauloises brunes. « Je poussais son fauteuil, il me filait des clopes. » Un soir qu’ils veillent plus tard que d’habitude autour du centre de vacances pour regarder les étoiles, Pol surprend des larmes sur les joues de Michel, qui lui confie : « C’est la première fois que je vois la nuit ».

À 16 ans, Pol contracte une tuberculose qui le cloue au lit pendant de longs mois. Les médecins préfèrent le laisser à Brissac plutôt que de l’envoyer changer d’air en Savoie. Il garde la chambre dans sa maison de la rue de Verdun, et se console en admirant le paysage par le carreau. Exactement le même panorama que celui qu’il peut contempler aujourd’hui à travers la fenêtre à la maison de retraite. À nouveau, Pol peut suivre le vol des grues blanches filant le long de l’Aubance.

 

Pour suivre le travail de Benjamin :  https://www.benjaminrullier.fr/

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