L'Inutile - Arques (62)

Nous voici lancés dans un compagnonnage avec la Cie L’Autre du troisième, sise à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, qui s’apprête à investir un ancien restaurant à Arques pour le transformer en tiers lieu de création. Quoi de mieux qu’un Inutile pour lancer l’affaire ?

Les SOUVENIRS de DEMAIN

Ancien hôtel restaurant qui a vu défiler des générations d’ouvriers de « chez Durand », ensuite converti en salle de réception louée par les salariés d’Arques, puis ceux d’Arc France, aujourd’hui local « en friche » voisin d’Arc International, le Saint-Laurent attend patiemment une possible réouverture. À l’image de ce lieu de fête, c’est toute une ville dont le pouls bat au rythme de son cœur de cristal.

 

Place Roger-Salengro, le marché du mardi matin est clairsemé ; certains exposants sont encore en vacances, d’autres ne se déplacent plus. Si la queue s’allonge devant la Boucherie des 2 caps (« la viande y est excellente, et le cheval est moins cher que le bœuf »), plusieurs vendeurs tirent la langue, faute de clients. À Arques, comme partout depuis les années 90, les zones d’activités construites dans les faubourgs concurrencent les commerces de centre-ville. Alexandre, l’un des exposants, regrette le temps où on se pressait épaule contre épaule dans les allées, obligés de slalomer entre les ceintures de cuir, les fringues et les friandises.

 

Marché ou crève

 

D’aucuns précisent que c’était déjà la même chose à l’époque de la création de l’ascenseur à bateaux, fierté patrimoniale de la ville : avant la mise en service de l’élévateur, les mariniers restaient parfois bloqués toute une semaine sur place, le temps de passer les 7 écluses qui formaient comme un escalier pour géant. Après, ils ne mettaient plus qu’une demi-heure à changer de niveau ; les épiceries et les estaminets installés sur la place ainsi que et les quincailleries – et même la maison close – implantées le long du canal ont alors vu leur clientèle s’évaporer.

Arques, pays d’étangs, de rivières et de canaux, stagne entre deux eaux. Les grises mines trouvent Arques triste : « J’aimerais bien sortir plus le soir pas loin de chez moi. » Les enthousiastes louent son dynamisme culturel : « Les concerts, les festivals, les spectacles à l’espace Balavoine sont toujours complets. » et son âme : « C’est ma ville, je l’aimerai toujours. »

 

Qui l’eût crue ?

 

Les souvenirs douloureux des 7 novembre, 11 novembre et 3 janvier 2023/24 hantent encore le centre-ville. À la Brasserie du coin, l’eau a dépassé le percolateur installé sur le bar, montée presque aussi haut que le niveau du Picon dans la bière – le goudron amer est servi si généreusement, ici, qu’il fait la renommée du lieu. « Les grains de café trempaient dans l’eau », se désole Marie, la patronne. « On a retrouvé un congélateur dans les toilettes, c’est dire la force de l’eau. On venait d’être livré en viande, on a dû tout jeter… » À la réouverture, elle n’a pas voulu augmenter ses tarifs : « Ce n’est pas au client de payer le prix de ce qui nous est arrivé» Évoquer les inondations lui coûte. Trop d’eau, trop de journalistes, trop de chagrin. Tout le monde a envie de tourner la page.

Les ventilos et les assécheurs ont fonctionné jour et nuit pour chasser l’humidité et les mauvais souvenirs. Certains habitants, impatients de retrouver leurs pénates, ont réaménagé à neuf des maisons encore trempées, si bien qu’aujourd’hui le placo se pique à nouveau de moisissure ; à vouloir les enterrer trop vite, on finit toujours par être rattrapé par ses fantômes.

 

Repeuplement

 

En périphérie de Saint-Omer, Arques n’en finit plus de construire des logements, accueillant des familles avec enfants ou des anciens qui reviennent au bercail. Bernard et Sylvie ont acheté un appartement au quatrième étage de la résidence des Fontinettes, flambant neuve, qui achève de sortir de terre, à deux pas de l’ascenseur à bateaux. Ils ont hâte de prendre possession de leur logement. Après 50 ans de mariage, il se réjouissent d’emménager à Arques et de bénéficier de tous les services et commerces à proximité. On comprend alors la gageure des acteurs locaux : que le dynamisme parvienne à suivre la courbe démographique.

 

Les rives du Saint-Laurent

 

Ainsi, boulevard De Gaulle, au Saint-Laurent, ce sont les araignées qui attendent patiemment l’ouverture du café-théâtre-tiers-lieu qui devrait être animé par l’association L’Autre du Troisième, qui préside à la rédaction de ce numéro de L’Inutile. Ses membres en sont persuadés : quel que soit le contexte social, Arques et le Pays de Saint-Omer auront toujours la convivialité chevillée au corps. Il y a un futur pour la fête, car on en n’aura jamais assez d’être heureux.

 

Concordance des temps

 

Arques conjugue donc passé et avenir, patiemment. Salle des poilus, à l’hôtel de ville, on se marie à l’ombre de l’histoire. Les consentements sont échangés dans la lumière des vitraux qui égrènent les grandes batailles de la Grande Guerre ; en guise de lustre, l’hélice d’un avion militiare de l’époque. À la Brasserie du coin, on voit le bout du tunnel : « Pour sortir de cette épreuve, ça a été la croix et la bannière. Aujourd’hui les galères sont derrière, on va de l’avant. » À la médiathèque, dans les associations, les salles de sport, les cafés, et peut-être bientôt au Saint-Laurent, on garde la chose commune bien vivante.

Sur la balance Roberval du caractère arquois se trouve d’un côté la nostalgie, de l’autre l’enthousiasme. Voilà la grande affaire pour ceux qui réfléchissent à l’avenir : imaginer aujourd’hui ce que seront les souvenirs de demain.

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