L'Inutile - Villers-aux-Vents (55)

C’est le retour rituel et annuel dans notre fidèle COPARY ! Après Neuville-sur-Ornain (premier numéro de la collection), Couvonges (n°21), Sommeilles (n°23), Andernay (n°37/38), Rancourt-sur-Ornain (n°68/69) et Vassincourt (73/74/75), nous voici à Villers-aux-Vents.

LE PETIT MAIRE

Lorsque la canicule n’abrutit pas son village de chaleur, et dès qu’il sort de l’école, Manoa Theret saute sur son vélo pour sillonner les rues de Villers-aux-Vents. Pas un centimètre carré de bitume qui n’ait vu passer la gomme du Rockrider. Le collégien – « toujours en mouvement », selon Amandine, sa maman – promène son air débonnaire de la Grande Rue aux chemins blancs. Parfois, il laisse sa semelle traîner sur le pneu de son vélo ; le bruit du frottement de la godasse sur le caoutchouc ressemble à la pétarade d’un moteur de moto. Un jour, Manoa aura une bécane à lui, une vraie, comme son père. Un jour, aussi, il sera maire.

 

Manoa Mano

 

Car, loin du cliché des ados bloqués devant leur console (même s’il joue à Fortnite), le bon gamin s’intéresse à tout, connaît tout le monde. « J’aime bien le village, parce qu’il n’y a pas beaucoup de monde, et on s’entend presque tous bien. » Sandy Savouroux, première magistrate, présente le garçon comme le « petit maire » : « Si un automobiliste prend un sens interdit, si un serpent traîne dans le lavoir, je suis immédiatement au courant… ». La maman de Manoa confirme : « C’est vrai, c’est le petit maire. Il a besoin de bouger, de tout savoir, depuis toujours. » Marie-Claude, la voisine d’en face, se réjouit d’avoir un « gamin du tonnerre » dans sa rue. « Un cantonnier bénévole, qui balaie les caniveaux ! »

Lorsqu’il passe en mode chantier, Manoa attelle une petite remorque à son biclou. Tous ses potes en ont une, comme lui, prête à être montée sur la boule d’attelage fixée derrière la selle et à charrier les planches, les tôles et la visserie de récup qui serviront à ériger leur cabane ; mais la baladeuse de Manoa, elle, est équipée d’un rangement spécial pour les outils de seconde main que lui refile son électricien de Papa. Samuel, le paternel, lui a même offert une visseuse, pour l’encourager. Alors, non content de concierger la rue, le gamin bricole, construit, transbahute, aménage. Quand il a une demi-journée de libre, il bosse chez un voisin agriculteur pour se faire la main, manière d’apprendre le métier qu’il exercera demain : éleveur bovin.

 

Patience est vertu de maire

 

Mais le « petit maire » peut aussi s’entendre comme la figure du ou de la maire de ruralité : « petit maire » pour « maire d’un petit village », celui ou celle qui est obligé de tout faire, moteur du commun, couteau suisse de la commune. Celui qu’on dérange pour un animal crevé, qu’on réveille à quatre heures du matin ou qu’on retrouve à l’aube, au milieu de la chaussée, occupé à balayer les débris des tuiles de l’église décollées par la tempête pendant la nuit afin de permettre au bus scolaire de passer.

À Villers-aux-Vents, la maire actuelle est la bru de l’édile précédent ; elle était aussi sa secrétaire de mairie. Une aubaine, lorsqu’il s’agit de remplir les dossiers et de prendre des arrêtés.

La nouvelle secrétaire, sa remplaçante, travaille 4 heures par semaine, chaque lundi. Après le départ en retraite de l’ancien employé municipal, le poste est resté longtemps vacant. Pas facile de recruter pour un poste à 8h/semaine, à raison d’un samedi tous les quinze jours…

Alors, les habitants prennent leurs responsabilités. Ils aident les élus à boucher les nids-de-poule des trois chemins communaux, au printemps. Ils sortent le rotofile quand les parterres ont besoin d’un rafraîchissement. Ils fleurissent, animent le village, l’entretiennent. « On a de la chance d’avoir des personnes qui ont envie de bien faire », se félicite Sandy.
À chaque changement de saison, on aperçoit deux mamans – l’une est maire, l’autre est mère du petit maire – qui s’affairent autour du panneau d’entrée du village pour renouveler la décoration. Entre leurs mains, une visseuse qui, exceptionnellement, ce jour-là, ne servira pas à la cabane.

 

Last liste

 

Ces derniers mois, la rédaction de L’Inutile a posé ses valises dans de nombreux petits villages qui risquent de ne voir aucune liste se présenter aux prochaines élections municipales, en mars 2026. Le départ d’octogénaires vissés à leur fauteuil depuis un demi-siècle, l’arrivée de la parité obligatoire dans les listes, la difficulté à mobiliser les actifs et – surtout – les reproches répétés d’une partie de la population qui pensent que les élus locaux sont détenteurs de l’alpha et de l’oméga, sont autant de facteurs qui dissuadent les aspirants même les plus dynamiques.

À Villers-aux-Vents, Sandy hésite, et Manoa n’a pas encore l’âge. Une décision sera prise après l’été. D’ici là, les beaucerons aboieront et, sur le tertre qui fait face à Villers-aux-Vents, les voitures passeront, solidement tanquée sur la ligne d’horizon.

Gestion des cookies

Ce site internet utilise des cookies destinés à son bon fonctionnement ainsi qu'à des fins statistiques.

Accepter Personnaliser

Haut de page