Pauline

Seconde réponse à la commande de la Maison Théâtre de Strasbourg d’écrire un texte de 4444 mots à destination des adolescents, après le refus de Les cents vies d’Athmane, Pauline dresse le portrait en profondeur d’une adolescente d’aujourd’hui, perdue dans sa transparence.

Scène 2

À présent seule en scène, Pauline sort un marqueur de sa poche. Elle essaye, à l’aveugle, d’inscrire PAULINE sur la face du carton tournée vers les spectateurs.

Enfin, elle retire le carton de sur sa tête. Elle prend le temps de découvrir le public avant de se lancer dans son monologue. Elle porte son carton sous le bras ou le tient devant elle, comme le crâne d’Hamlet.

Pauline           Toujours la dernière.

Toujours là, derrière.

J’ai l’habitude.

Un temps.

Je suis celle qu’on ne voit pas.

C’est comme ça.

Un temps.

Je ne suis pas timide, pourtant. Je n’ai pas peur des autres. J’aime bien discuter, faut juste que j’arrive à trouver quelqu’un qui accepterais de m’écouter.

Je ne suis pas timide, sûr. On me dit que je suis effacée.

Quand Max me lance une vanne qui fait rire tout le monde sauf moi, je file dans ma chambre pour bouder. Je reste là deux, trois heures, en attendant que quelqu’un vienne me chercher. Quand, finalement, je ressors parce que je suis calmée (ou parce que j’ai faim), ma mère me dit : « Je t’avais oubliée. »

Un temps.

Mes parents n’en n’ont que pour Max.

On dit que je suis effacée. Peut-être que ce sont eux qui m’effacent, ouais.

Un temps.

Je ne saurais pas trop expliquer pourquoi je suis transparente, mais, je vous jure, on est à deux doigts du fantôme.

Je tends la main pour qu’on me la serre, je me prends un vent, systématiquement.

Je vais au cinéma, un ultra grand vient s’assoir devant moi, à chaque fois.

Au restaurant, le serveur oublie de prendre ma commande.

Ma prof de piano me donne un exercice : essayer de composer un morceau avec uniquement des blanches. Elle me fait tout le temps jouer des trucs en mineur.

Le chauffeur du car est déjà passé sans me voir. Trois fois.

Une fois, on est pressé, on part, Max est déjà installé dans la voiture, mon père ne voit pas que je suis en train de monter, il me roule sur le pied. Je le jure.

Trois semaines de plâtre. Personne n’a dessiné dessus.

Le soir, je sors du collège sans avoir l’impression d’y être entrée. L’école me passe au travers.

Un temps.

Le truc, c’est qu’il y a une autre Pauline dans ma classe.

La vedette du collège.

Pauline populaire, Pauline fantôme. Génial, vraiment.

Un temps.

J’aimerais que, juste une fois, quelqu’un entre dans la pièce, appelle « Pauline », et que ce soit pour moi.

J’aimerais bien, juste une fois, être le centre des attentions, histoire de voir ce que ça fait.

Mais ça n’arrive jamais.

Un temps.

Et puis par là-dessus le déménagement.

S’il te plaît ! J’ai mis trois ans à trouver une petite place au collège. Aujourd’hui, personne ne me calcule, personne ne m’embête, je suis nulle (nulle dans le sens zéro, qui est sans existence, réduit à rien, à néant), tout ça me va bien, et on déménage.

Un temps.

Voilà : je suis effacée depuis si longtemps que je suis sur le point de devenir invisible. Cherche plus ta cape, Harry, c’est moi qui l’ai.

(Au carton) Être ou ne pas être transparente, telle est la question.

Et maintenant, il va falloir tout recommencer.

Vas-y, Pauline, fais un résumé de ta journée : « aujourd’hui, j’ai quitté un truc nul pour un truc pire. »

Un temps.

Franchement, ça ne m’aurait pas dérangée qu’ils m’oublient. Même si je ne suis pas en train de bouder.

(Au carton) Toi aussi tu trimballes du vide ?

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